Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les caprices d'Ennairam
Albums Photos
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
29 novembre 2009

Recette

Mais silence ! et écoutez le récit de ma merveilleuse naissance, l’origine de l’Écarlate ! Un peintre expert dans les pigments, écrabouilla menu-menu, dans un mortier, sous son pilon, des cochenilles importées des contrées lointaines et torrides de l’Hindûstân. Pour cinq mesures de vermillon, il prépara la saponaire –une mesure- et une demie, juste une demie ! d’aventurine. Il fit bouillir la saponaire dans trois grandes mesures d’eau, puis y délaya son aventurine. Il fit réduire sur le feu le temps de boire un bon café, et pendant qu’il savourait, moi aussi, j’étais impatient, comme un bébé qui va voir le jour ! Le café lui ayant bien éclairci l’esprit –ses yeux de génie jetaient des étincelles !- il versa dans la casserole la fine poudre de vermillon en touillant régulièrement avec une baguette spéciale. J’allais devenir l’authentique rouge-carmin, mais il manquait encore la bonne consistance, et le mélange ne devait ni trop bouillir ni pas assez. Avec le bout de la baguette, il s’en mit une goutte à l’ongle du pouce –celui-là exclusivement. Quelle extase d’être le Rouge ! Sur son ongle badigeonné je ne fis pas une égoutture : la consistance était parfaite. Il restait le précipité : il ôta du fourneau la casserole et fit passer le contenu à l’étamine, pour me filtrer, me purifier. Puis il me remit à bouillir à petits crachotis, deux fois, avant de me glacer à la poudre d’alun.

PICT4045

Quelques jours passèrent, et je reposais, toujours, au fond de la casserole, sans être plus mêlé à rien. Or j’étais impatient qu’on m’étale sur chaque objet, à chaque endroit de chaque page. Cette trop longue oisiveté me faisait mal au cœur. Dans ce profond silence, je me suis demandé ce que c’est qu’être Rouge.

Mon nom est Rouge, (1998) Orhan Pamuk, Gilles Authier
Gallimard 2001 (prix meilleur livre étranger 2002)

Un autre extrait, d'Istanbul, ici.

Publicité
Commentaires
E
serais-je lue en Suisse ?
F
il y a un minaret, là, sur ta photo, vire moi ça avant que ça ne t'attire des ennuis!
E
Il faut lire Pamuk ! Mais laisse tomber Istanbul, et lis celui-ci !
G
eh bien à petite dose c'est très agréable à lire, j'ai cru que ces "égouttures" étaient de ton cru et je te voyais déjà remettre ta robe rouge sur ce blog.<br /> J'aurais sans doute du me procurer Istanbul dans une petite édition sans les gravures qui assombrissent ce récit, que j'ai peu investi du coup.
Publicité