Claudel'land
"On ne devrait jamais quitter Montauban !" disait Lino Ventura dans les Tontons Flingueurs. Sage maxime, que je me répète chaque année au moment des mutations, lorsque l'envie me titille d'aller voir ailleurs si l'herbe y est plus verte.
Montauban donc, j'y étais hier avec Kam. Une exposition très anglaise de Colin Painter au musée Ingres, où je photographie régulièrement la boîte d'aquarelles d'Emile Antoine Bourdelle et les tubes de peinture séchée de Jean Auguste Dominique Ingres.
Ayant contemplé le buste du petit Charles Lhermitte par Camille Claudel, l'idée nous vient de faire un tour à Lavardens où se tient une exposition exceptionnelle de ses œuvres.
Pendant l'heure de trajet, je ne manque pas de déplorer le massacre du Gers, où de nouvelles routes tranchent et cisaillent les collines verdoyantes. Désenclavé, peut-être, mais à quel prix.
Surprise, ce village gersois se prend pour un musée parisien, et il y a une bonne heure d'attente avant d'accéder à l'intérieur du château fort. Je tente d'adopter les préceptes de tous les lamas tibétains du Lot et de la Dordogne et de faire preuve de patience, stoïque, pendant que Kam croque quelque passante.
Préceptes ou pas, mon misanthropomètre commence à monter à l'écoute de conversations désagréables et oiseuses, parmi lesquelles une longue série d'exclamations outrées à propos de vieilles resquilleuses qui ont réussi à remonter toute la file en quelques minutes (les petites futées).
Encore vingt minutes d'attente à l'intérieur et nous voilà dans l'exposition.
Trop de monde pour bien voir. Une lumière dramatisante éclaire les bronzes en forçant les contrastes. J'aime la lumière du jour et la douceur avec laquelle elle modèle ce genre de sculpture au long des heures. Ici, les ouvertures sont occultées et le parti-pris d'éclairage est plus proche des Galeries Lafayette que du Louvre. Il est vrai que je ne juge qu'avec mes yeux, le commissaire de l'exposition a surement des arguments.
Il est interdit de photographier, vous n'aurez pas d'image. Arrivée enfin au bout des salles trop confinées, je tombe dans la "librairie" où l'on trouve le catalogue de l'exposition, aussi chaleureux que celui de la CAMIF. Face à la porte, j'avise sur le linteau de pierre cette étrange inscription tracée au charbon : "mariées sans le savoir, Maria, Janine". La salle suivante est une buvette, laide, où l'on peut aussi acheter les produits locaux : foie gras et autres bouteilles d'Armagnac.
Je songe à Camille Claudel dont un portrait peuple les bords de route pour venir, et tous les murs du chateau. L'exposition montre deux photos : l'une de la jeune fille, et l'autre de la vieille femme internée en hôpital psychiatrique. Toutes les deux nous font face, avec le même regard. Intense et détaché.
L'exposition dure jusqu'à la fin du mois, si vous n'avez pas peur de la foule, des lampes au tungstène et des fantômes, allez-y, certaines œuvres ne sont visibles qu'à cette occasion. Et puis le Gers, c'est très beau.
Mardi je retourne à Montauban.